vendredi, décembre 03, 2004

Le dresseur de lionnes

Sa peau fraîche pourtant me réchauffe. Une couleur oxyde le profond de mon œil. Chaleur collée à son souffle, ses cheveux sur ma peau. Printemps des journées, si douce, mon ombre, solitude, certitude, me manque. Jeter cette poignée et me jeter. Vider mes tripes, balancer mon cœur, ma raison disparue j’errais. Une carcasse figée à l’écho du vent lancinant. A l’abandon, seul, personne, plus personne, déconnecté sans faims. Au Regard du ciel de saison, m’oubliant dans quelques lieux, quelques verres. Retrouvant ma route d’instinct, de but, en rasant les murs du père, sous cette lune trouble, pour l’antre de ma vie, de souvenirs d’avant. L’animal est bien fichu faut croire !
A côté du grand chapiteau, ils dorment. Mes fauves, auxquelles je n’ai plus rien à donner. Ma pensée dans la poussière de leurs cages. Les ventres à vide, surexcités avec l’entrée du soir, je les ai laissés, pour m’offrir conscient, dans un direct saignant. J’attends mon tour. Au pied de l’échelle. Que la piste soit une sortie brève et rapide. Les lionnes n’attendent que le service. Elles ont conscience disparu, dévorées par la faim. Je vais pouvoir m’embarquer, retrouver mon aimée.
« Clap, clap, clap, clap, clap, clap, clap, clap »
Des encouragements, je n’en ai pas besoin. Espérons seulement que le festin soit à la hauteur.Mais rien ! Rien ne se passe. Les lionnes m’ignorent. Elles ne veulent pas de ma peau, de ce corps vide.Je provoque, me donne presque. Mais non. Elle se chamaillent, jouent leurs rôles, comme de rien.Un premier soir précède toujours un deuxième, mais rien là non plus. Puis un troisième, un quatrième, et toujours rien de ce que j’attends. Je suis fatigué, las. Je tiens à peine debout.
- Allez, je t’invite. Fais moi plaisir. Ça me rend malade de te voir comme ça, Jason. Faut manger.
Je me retrouve devant cette assiette. Je bois un verre d’abord. Puis un autre. J’attaque, un peu. Ce n’est pas mauvais, c’est bon. Je prends un autre verre. La résistance n’a pas résisté. Je veux bien encore un peu de légumes. On est arrivé au fromage.
- C’est vrai que ça fait du bien. Merci Augusto. Tu m’as redonné goût.
- Aah ! Je préfère te revoir comme ça. Tchin, pour ton nouveau départ.
- Tchin, et je vais reprendre un peu de dessert.
- Mange, mange, hahaha ! Houlà ! Tu as vu l’heure ?
Sur l'asphalte noir, dans la lumière blanche, d’un désert ocre jaune couvert d’un ciel bleu, j’avance. Je n’ai pas chaud. Je suis bien. J’avance. Une voiture s’arrête. Une vielle américaine rose et blanche des années 5o.
- Montez, montez, Senior, nous avons de la place. M’alpague le conducteur.
Je ne veux pas monter. Je suis bien là, moi. Non, je ne veux pas. Pourquoi je suis monté ?
Nous sommes 4 à l’arrière, enfoncés dans le cuir défoncé, recouvert de sconse et de grosse laine. Mon voisin m’offre de sa mescal, j’adore ça. Nous roulons à tombeau ouvert. L’air passe dans mes cheveux, le ciel, le soleil éclatant, ça fait du bien. La musique est excellente.
- Ah, c’est quoi déjà ce morceau, je m’en souviens jamais. J’ai une mauvaise mémoire, pour les noms. Ah ! Merde, je l’ai là, sur le bout de la langue.
- Là, je peux pas vous dire. J’écoute et j’aime bien la musique, mais après, le reste !
« Wlam, wlam, wlam »
Que ce passe t-il ? La voiture ?
« Wlam, wlam, wlam »
Hein ! Houlà ma tête. Bouuuh ! De l’eau. Quelle heuuurmh est-il ? Oh merde ! Vite mon costume.

« Wlam, wlam, wlam »
- Oui, oui ! J’arrive.
- Ben alors qu’est ce que tu fais. Les clowns ont bientôt fini.
- Houps oui ! J’arrive, j’arrive. J’étais en train de rêver.
- C’est plus l’heure de rêver ! Allez, allez faut y aller.
J’y étais bien dans mon rêve pourtant. Aaaah ! Et cette musique qui joue trop vite déjà.
- Bon alors enfin tu étais où ?
- Monsieur rêvait.
- Oui, ben c’est plus l’heure de rêver.
- C’est ce que je lui ai dit.
- Allez, en piste. Et attache-moi ton col s’il te plaît, il y a du monde ce soir. Le chapiteau est plein à craquer.
- Ah ! Je veux bien un verre d’eau !
- Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es trempé, tu es malade ?
- C’est le mescal.
- Quoi ?
- Non rien !
Ma musique. C’est mon tour de passer à la lumière, dans le vent d’applaudissements. Merci, merci. C’est pas désagréable tout ce monde. Ça fait plaisir même. J’en profite avant le numéro.
Une fois franchie la grille, les applaudissements se font plus forts, mais plus sourds, raisonnant dans tout mon corps, au rythme de mon cœur palpitant. Les lionnes sont déjà en place.
Merde ! Les lionnes. Elles n’ont toujours pas mangé.