mercredi, décembre 15, 2004

Micha, Milda, Milka

-Aaaaaaarrrgh aaarrrgh aaaarrrgh. J’ai faim. Arrrgh Arrrgh. J’ai le ventre vide. Je dévorerais une girafe en entier, à moi toute seule.

-Et moi un hippopotame.

-Mais qu’est ce qu’il fait ? Qu’est ce qu’il fait ? Il ne nous aime plus ?

- Je ne sais pas. Je ne sais pas ! Il ne donne plus rien, regardes. Il semble si loin. Il a l’air si malheureux. Je ne comprends pas.

-Mais qu’est ce qu’on lui a fait ? On lui a rien fait nous. Il nous aimait tant. On l’aime tant. On est sa vie, on lui a tout donné. On a fait ce qu’il voulait pour amuser la galerie. En échange de ça, il doit nous nourrir. Il nous captive déjà depuis si longtemps. Mais qu’est ce qu’il a ? Il a oublié ?

- Je ne sais pas Milda. Aaaarrrgh.

-Il veut nous tuer ma parole ! Nous faire mourir de faim. C’est une expérience ?

-Tu crois ?

-Tu as toujours de drôles d’idées.

-Aaaaaaarrrgh quoi de drôles d’idées ! Comment tu expliques, toi alors qui es si intelligente ? Hein ! Comment tu expliques ?

-Peut-être que c’est lui qui veut mourir.

-Quoi ? Je ne comprends pas ?

- Peut-être qu’il veut s’offrir à nous. En finir avec la vie, se donner.

-Quoi ! Mais c’est n’importe quoi ce que tu racontes.

-Arrrgh arrrgh. Elle n’a peut être pas tort. Regarde depuis ces derniers soirs, comment il se comporte.

-Mais vous êtes folles ma parole toutes les deux. Aaaaaarrrgh. Vous n’imaginez quand même pas, qu’il fait ça pour ça. Je ne peux pas. Il ne peut pas faire ça. Vous êtres folles.

-Faut ce rendre à l’évidence Micha. Il ne nous nourrit plus, et tous les soirs il prend de plus en plus de risque. Tu as bien vu hier. Et ce n’est pas la question qu’il ne peut pas nous acheter de la viande. C’est rempli tous les soirs. Il a les moyens d’en acheter.

-J’y crois pas, je peux pas y croire.

-Faut se rendre à l’évidence.

-Se rendre à l’évidence. Se rendre à l’évidence ! La faim vous monte aux cerveaux. C’est quoi votre évidence ? Le dévorer là, devant tout le monde. Aaaaaarrrgh.

-Quoi ! Tu préfères peut-être qu’on s’entre mange. Tu n’as plus que les os sous la peau ma pauvre. Même une Hiène ne voudrait pas de toi pour son quatre heure !

-Aaaaaarrrgh vous me faites vomir, j’ai envie de pleurer, vous me dégoûtez.

-C’est ça, pleure. De toute manière tu n’as plus rien à vomir.

-J’ai décidé. Ce soir, je m’en occupe. C’est lui qui veut après tout. C’est son souhait. Sa volonté.

-Moi aussi, ça peut plus durer.

- Mais vous êtes complètement folles. Vous avez pensé aux conséquences, et les titres dans les journaux demain.

« Faits divers : Trois lionnes sanguinaires dévorent leur dresseur en pleine représentation. »

Vous imaginez ?

-Ben, nous serons célèbres comme ça!

-Vous pensez peut-être que ça va nous aider. Vous croyez peut-être qu’ils vont nous laisser vivre après ça. Nous les mangeuses d’hommes.

-Et bien qu’ils nous abattent. Après j’en ai plus rien à faire. Mieux mourir ainsi, et le ventre plein. Et puis on ira le rejoindre, de toute manière. Et puis moi aussi j’en ai marre. De cette cage et de ces représentations. J’en ai marre d’être montrée comme ça, tous les soirs. Jetée en pâture à la vue de tous, même aux enfants. D’être traitée comme une chose, sans âme. Je souffre Micha. Je souffre crois moi, autant que toi. Mais c’est comme ça ! Et puis ça fera peut-être réfléchir ! Ça sera un exemple pour les autres. C’est notre destin. Il faut en finir.

-Je suis d’accord avec toi Milda.

- Moi je ne peux pas. Je ne pourrai pas. Il m’a recueilli, il m’a nourri toute ma vie. Je lui appartiens, je suis à lui. Je ne peux pas lui faire de mal. Vous aussi. Aaaaaarrrgh aaaaarrrgh !!! Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible !

-Si tu lui appartiens, alors comprends ce qu’il demande. Aide le. Libère le.

- Aaaaaarrrgh Aaaaaarrrgh.. Je n’y arriverai pas, je n’y arriverai pas. Je ne peux pas me faire à l’idée.

-T’inquiètes pas. Ça sera rapide, fais moi confiance. Aaaaaaarrrgh.

vendredi, décembre 03, 2004

Le dresseur de lionnes

Sa peau fraîche pourtant me réchauffe. Une couleur oxyde le profond de mon œil. Chaleur collée à son souffle, ses cheveux sur ma peau. Printemps des journées, si douce, mon ombre, solitude, certitude, me manque. Jeter cette poignée et me jeter. Vider mes tripes, balancer mon cœur, ma raison disparue j’errais. Une carcasse figée à l’écho du vent lancinant. A l’abandon, seul, personne, plus personne, déconnecté sans faims. Au Regard du ciel de saison, m’oubliant dans quelques lieux, quelques verres. Retrouvant ma route d’instinct, de but, en rasant les murs du père, sous cette lune trouble, pour l’antre de ma vie, de souvenirs d’avant. L’animal est bien fichu faut croire !
A côté du grand chapiteau, ils dorment. Mes fauves, auxquelles je n’ai plus rien à donner. Ma pensée dans la poussière de leurs cages. Les ventres à vide, surexcités avec l’entrée du soir, je les ai laissés, pour m’offrir conscient, dans un direct saignant. J’attends mon tour. Au pied de l’échelle. Que la piste soit une sortie brève et rapide. Les lionnes n’attendent que le service. Elles ont conscience disparu, dévorées par la faim. Je vais pouvoir m’embarquer, retrouver mon aimée.
« Clap, clap, clap, clap, clap, clap, clap, clap »
Des encouragements, je n’en ai pas besoin. Espérons seulement que le festin soit à la hauteur.Mais rien ! Rien ne se passe. Les lionnes m’ignorent. Elles ne veulent pas de ma peau, de ce corps vide.Je provoque, me donne presque. Mais non. Elle se chamaillent, jouent leurs rôles, comme de rien.Un premier soir précède toujours un deuxième, mais rien là non plus. Puis un troisième, un quatrième, et toujours rien de ce que j’attends. Je suis fatigué, las. Je tiens à peine debout.
- Allez, je t’invite. Fais moi plaisir. Ça me rend malade de te voir comme ça, Jason. Faut manger.
Je me retrouve devant cette assiette. Je bois un verre d’abord. Puis un autre. J’attaque, un peu. Ce n’est pas mauvais, c’est bon. Je prends un autre verre. La résistance n’a pas résisté. Je veux bien encore un peu de légumes. On est arrivé au fromage.
- C’est vrai que ça fait du bien. Merci Augusto. Tu m’as redonné goût.
- Aah ! Je préfère te revoir comme ça. Tchin, pour ton nouveau départ.
- Tchin, et je vais reprendre un peu de dessert.
- Mange, mange, hahaha ! Houlà ! Tu as vu l’heure ?
Sur l'asphalte noir, dans la lumière blanche, d’un désert ocre jaune couvert d’un ciel bleu, j’avance. Je n’ai pas chaud. Je suis bien. J’avance. Une voiture s’arrête. Une vielle américaine rose et blanche des années 5o.
- Montez, montez, Senior, nous avons de la place. M’alpague le conducteur.
Je ne veux pas monter. Je suis bien là, moi. Non, je ne veux pas. Pourquoi je suis monté ?
Nous sommes 4 à l’arrière, enfoncés dans le cuir défoncé, recouvert de sconse et de grosse laine. Mon voisin m’offre de sa mescal, j’adore ça. Nous roulons à tombeau ouvert. L’air passe dans mes cheveux, le ciel, le soleil éclatant, ça fait du bien. La musique est excellente.
- Ah, c’est quoi déjà ce morceau, je m’en souviens jamais. J’ai une mauvaise mémoire, pour les noms. Ah ! Merde, je l’ai là, sur le bout de la langue.
- Là, je peux pas vous dire. J’écoute et j’aime bien la musique, mais après, le reste !
« Wlam, wlam, wlam »
Que ce passe t-il ? La voiture ?
« Wlam, wlam, wlam »
Hein ! Houlà ma tête. Bouuuh ! De l’eau. Quelle heuuurmh est-il ? Oh merde ! Vite mon costume.

« Wlam, wlam, wlam »
- Oui, oui ! J’arrive.
- Ben alors qu’est ce que tu fais. Les clowns ont bientôt fini.
- Houps oui ! J’arrive, j’arrive. J’étais en train de rêver.
- C’est plus l’heure de rêver ! Allez, allez faut y aller.
J’y étais bien dans mon rêve pourtant. Aaaah ! Et cette musique qui joue trop vite déjà.
- Bon alors enfin tu étais où ?
- Monsieur rêvait.
- Oui, ben c’est plus l’heure de rêver.
- C’est ce que je lui ai dit.
- Allez, en piste. Et attache-moi ton col s’il te plaît, il y a du monde ce soir. Le chapiteau est plein à craquer.
- Ah ! Je veux bien un verre d’eau !
- Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es trempé, tu es malade ?
- C’est le mescal.
- Quoi ?
- Non rien !
Ma musique. C’est mon tour de passer à la lumière, dans le vent d’applaudissements. Merci, merci. C’est pas désagréable tout ce monde. Ça fait plaisir même. J’en profite avant le numéro.
Une fois franchie la grille, les applaudissements se font plus forts, mais plus sourds, raisonnant dans tout mon corps, au rythme de mon cœur palpitant. Les lionnes sont déjà en place.
Merde ! Les lionnes. Elles n’ont toujours pas mangé.